Coulommes et son histoire

Les nourrices de Coulommes par Didier LEBEGUE

« L’an 1679, le vendredi 12 mai, est décédée en bas âge Margueritte GOLAIN fille de Gilbert GOLAIN serrurier demeurant à Paris Faubourg Saint Anthoine et de Margueritte BUFFER ses père et mère, ladite défunte  étant en nourrice chez Messire Pierre Gutine, greffier de cette paroisse, laquelle a été inhumée ce jourd’hui samedi 13 dudit mois en présence dudit Gutine et de Charles Dervau notre clerc. »

C’est ainsi que Jean Rozé, alors curé de Coulommes, rapporte le décès et l’inhumation de Marguerite Golain dans le registre des Baptêmes, Mariages et Sépultures de la paroisse.

Sous une apparence anodine, cet acte, qu’aujourd’hui on qualifierait d’état civil, est, chronologiquement, l’un des premiers à nous révéler une activité qui prendra une grande importance dans notre village de la fin du 17° à celle du 19° siècle, celle de nourrice. En effet, pour cette période, c’est par dizaines qu’on peut relever de tels actes de décès de nourrissons dans les registres paroissiaux de Coulommes sous l’Ancien Régime (quand c’était le curé qui était chargé de les enregistrer), puis dans les registres d’état civil des communes après la révolution.

Aujourd’hui, on appelle encore « nourrice » une femme qui exerce la profession d’assistante maternelle, mais le rôle n’est plus exactement le même: avant que la petite Marguerite Golain décède, l’épouse de Messire Pierre Gustine ne s’était pas contentée de prendre soin d’elle, elle l’avait allaitée. Pour cela, il fallait qu’elle ait elle-même accouché peu de temps auparavant. Le plus souvent, la nourrice allaitait alors et son propre enfant, et le nourrisson. Et si son enfant décédait en bas âge, comme cela arrivait souvent à l’époque, elle allaitait alors seulement le nourrisson qui lui était confié. C’est le cas par exemple de Marie Massé dont la fille, Marie-Anne, née le 3 septembre 1747, décède 2 jours plus tard. A une date inconnue, elle prend en nourrice Marie Michel qui décède chez elle le 13 avril 1748 à l’âge de 6 mois. C’est le cas aussi pour Marie Bussy dont le fils Maurice, né le 22 septembre 1747, décède le 21 mars 1748. Le 5 avril suivant, elle assiste à l’inhumation de la petite Marie-Louise-Victoire (1 mois), de Paris, qu’elle avait en nourrice.

Les parents des enfants placés en nourrice à Coulommes vivaient en majorité à Paris (faubourgs Saint-Antoine, Saint-Germain et Saint-Martin, paroisses Saint-Sulpice et Saint-Nicolas-des-Champs, etc.), dans des villages qui seront plus tard absorbés par la capitale (Chaillot, Neuilly), dans sa banlieue proche (Vincennes, Fontenay, Montreuil sous Bois  … ). Mais certains habitent dans les environs de Coulommes (Meaux, Boutigny, Montévrain, Bouleurs, Maisoncelles…). Beaucoup sont artisans (sculpteur, serrurier, cordonnier, orfèvre, tonnelier, maréchal ferrant, charron …), ou commerçants (on disait alors « marchands »: libraire, bonnetier, rôtisseur et cabaretier, boutonnier …), certains sont titulaires d’offices (huissier royal, officier du duc de Berry), et on compte aussi des jardiniers, des vignerons, un compagnon orfèvre, un compagnon maçon …

A Paris, l’activité des nourrices était très organisée et réglementée. Des « recommanderesses » rémunérées, étaient chargées de recruter les nourrices, de les héberger lorsqu’elles venaient prendre en charge un nourrisson, et de leur servir d’intermédiaire avec les parents pour le paiement des « honoraires ». Parfois, c’était un « meneur d’enfants » qui se chargeait de convoyer les bébés jusqu’à la paroisse de la nourrice, souvent dans des conditions déplorables. Certains nourrissons mourraient en route. C’est sans doute le cas du petit Louis Capitaine, fils d’un marchand bonnetier de la paroisse Saint-Etienne-du-Mont à Paris, qui décède, âgé de 8 jours,  d’une violente colique chez Pierre Ducharne, cabaretier à Coulommes. Il est inhumé en présence de sa nourrice Jeanne Bouvier, demeurant à Vanry, paroisse de Jouarre, où, vraisemblablement, elle l’emmenait.

Les causes de décès des nourrissons étaient multiples. Aux 17° et 18° siècles, la mortalité infantile était très importante. On parle de la moitié des enfants mourant au cours le leur première année. Outre les maladies infectieuses endémiques ou épidémiques (tuberculose, grippe, choléra, rougeole …), les nourrissons pouvaient être victimes d’un manque d’hygiène général, d’habitations humides et enfumées, de la promiscuité avec des animaux, de la pollution (tas de fumier à proximité des maisons, puits contaminés …), d’accidents, de la négligence de la nourrice, voire de mauvais traitements. A Coulommes, l’âge moyen au jour du décès des nourrissons est de 5 mois, mais on note un décès à l’âge de 8 jours, un autre à 10 jours, d’autres encore à 15 jours. L’enfant le plus âgé décède à 18 mois.

19° siècle Paris Musée du Louvre

D’une manière générale, il est rare que les registres paroissiaux d’avant la révolution et les registres d’état civil du 19° siècle mentionnent l’activité professionnelle des femmes.

De ce point de vue, les nourrices font exception, même si, parfois, seul le nom de leur époux, « le nourricier », est mentionné dans l’acte de décès du bébé. Beaucoup exercent sans doute elles-mêmes une activité en plus de celle de nourrice. On ne s’étonnera pas qu’elles soient de milieux modestes: épouses de vignerons (en 1689, Jeanne Bulne, épouse de Claude Gallois; en 1707, Madeleine Damriale, épouse de Jean Sautreau; en 1747, Françoise Potevin, épouse d’Antoine Dieu; etc.), épouses de manouvrier (c’est-à-dire ouvrier agricole: en 1709, Elisabeth Paulé, épouse d’Etienne Butel; en 1781, Marie Piédeloup, épouse de Jacques Lefevre; en 1792, Marguerite Lefevre, épouse d’Etienne Ancelin, etc.); épouse de domestique (en 1749, Marie-Louise Blutel, veuve de Denis Ofroy); épouse de vigneron et tailleur d’habits (en 1804, Marie-Anne Gallois, épouse de Fiacre Istar).

18° siècle Nancy musée des beaux arts

Vers le milieu du 19° siècle, les mentions de ces décès d’enfants en nourrice se raréfient, probablement parce qu’il en meurt moins grâce aux progrès de la médecine, mais aussi parce qu’il y en a moins à Coulommes, sans doute notamment en raison de la concurrence des nourrices morvandelles qui, elles, vivent au domicile des parents.

Une étude plus complète sur les nourrices de  Coulommes est consultable sur Internet à cette adresse:

http://coulommes-et-autres-lieux-voisins.over-blog.com/article-les-nourrices-de-coulommes-64291049.html

 

 

Didier LEBEGUE